© dessin Olivier Thévin
Si je me courbe ainsi c’est pour mieux prendre racine. Je prends corps par des mains qui façonnent et m’entourent, en saisissent le chant qui m’anime et me tend. Je me replie en moi pour que remonte le sang et refluent l’air qui vibre et la voix des absents, car le temps coule en moi qui suis femme éternelle, faite d’écorce et de chair résonnant sous ta main. On dirait que je danse comme un arbre dans le vent sur une musique de feu qui soudain fait silence. Sentir en soi le vide par ses morsures de givre – mon pied blanc du papier laisse transparaître le grain et cette lumière de neige nébuleuse et limpide. Sentir en soi le vide par sa force de vie qui borde comme un drap léger qui se soulève, cette solitude en soi qui apaise et console comme une chaleur de braise après l’hiver des sens. C’est l’enfance qui remonte sous la femme qui se penche et accueille les souvenirs dans des pelletées de terre. J’ai les mains comme des feuilles qui s’ouvrent pleines vers toi, vers les lueurs d’un ciel fait d’orages et de souffle. J’ai les pieds dans la terre et tout mon corps ondule, ancrée et si légère que la couleur s’épand, racontant mon histoire par une main en élan, dans une coulée de sève sur la feuille un instant. La couleur de ma peau a l’automne en murmure et mon dos arrondi fait écho en calebasse à tous les mots d’amour que je porte en mon sein. Le noir qui me sillonne trace un chemin de vie, de mon pied qui s’élève à ma main qui recueille. Il s’étend et prend source en ma chevelure brune, mucus sombre et humide, tourbe et boue, terre féconde, bois d’ébène dont la sève coule encore fraîche et nue, dans l’épaisseur légère de mon corps lourd qui danse le désir insensé de durer sur la toile par les mains qui accouchent et le regard qui sème.
© Maud Thiria, Des Nus (1er Round), Olivier Thévin, 2011